samedi 31 octobre 2009

Accro de vélo, êtes-vous dans le déni ?

Mon épiphanie – je suis une cycliste urbaine! - fut par un beau matin de printemps quand je me suis surprise à mentalement fragmenter la liste d’épicerie en autant de mini-listes qu’il y avait d’articles à se procurer, dans le but précis d’aller chercher ces articles, tout au long de la semaine, dans des épiceries, ou boutiques spécialisées, ailleurs, dans d’autres quartiers, loin, et non pas dans les épiceries près de chez nous. Là, j’ai compris que j’était ‘faite’, que j’étais devenue une accroc du vélo urbain.

Dans mon cas, de nombreux autres signes et comportements auraient dû me faire prendre conscience de mon état. Comme le démontrent les faits qui suivent, j’étais dans le déni.

Par exemple, quand j’ai senti que la meilleure partie de ma journée n’était ni le temps au travail ni le temps à la maison, mais bien mes temps de trajets entre les deux, j’aurais dû comprendre ce qui m’arrivait. Non ?

Quand j’ai fait une demande à Accès-Montréal pour avoir un lot dans un site de jardins communautaires, j’ai volontairement choisi un site loin de chez moi. La préposée, incrédule, me questionne. Elle insiste et me propose un site près de mon adresse de résidence, mais j’ai dû lui expliqué que je SOUHAITAIS avoir pas mal de vélo à faire pour m’y rendre plusieurs fois par semaine. Pathétique non ? Le bénéfice est double. Les balades fréquentes. Youppie. Et parce que j’ai choisi ce site moins populaire, je m’assurais d’obtenir un jardin à coup sûr au printemps suivant. Pendant que dans les sites plus populaires, au coeur de son quartier, il faut attendre des années. (Ce que je n'avoue pas ici c'est que tout ce jardinage me permettra de justifier l'achat d'une remorque, ou d'un vélo cargo. Voyez comme mon esprit de cycliste urbaine est devenu retord ?)

Ce que j’avoue plus volontiers : j’ai un signet/favori/bookmark pour le site de Météomédia à la maison et à tous mes boulots.

Je n’ai pas utilisé ma voiture pendant si longtemps cet été que j’ai perdu les clés et j’ai dû payer pour me faire refaire un nouveau jeu de clés chez le concessionnaire. Je peux attester que le ridicule ne tue pas.

Au début, je me percevais comme un automobiliste qui s’était remise au vélo. À quelques reprise, alors que j'étais à vélo, j’ai essayé de mettre les clignotants avec la manette des freins (avec résultats désastreux). Quand je voyais une voiture de police, j’avais encore le réflexe de me demander si j’avais bien mis sa ceinture de sécurité!

Puis, un jour, imperceptiblement, le vent tourne. On est désormais une cycliste qui se déplace à l'occasion en auto. Et quand ça arrive, on se prend à faire en auto son trajet de vélo, plutôt que de prendre les grandes artères. On descend une côte, et on souhaiterait être à vélo, pour prendre de la vitesse. On commence à détecter les faux plats même en voiture. On doit se retenir de démarrer quand on voit la lumière piéton tourner au vert alors qu’on est en auto.

J’ai vite trouvé que mes trajets quotidiens vers le boulot n’étaient pas assez long, et plutôt que de prendre le plus court chemin pour rentrer chez moi, je faisais de grands détours par d’autres quartiers, comme un enfant qui ne veut pas rentrer à la maison.

Je me suis surprise à ... mentir. ‘’Non, désolée, j’ai déjà pris un engagement’’. Mais en fait, vu la météo superbe, on se défile et on part se balader, explorer un quartier inconnu, une piste peu fréquentée.

On rentre à la maison, il n’y a rien pour préparer le souper mais on a des stocks bien garnis de ‘trail mix’ maison, de barres granola, et autres bouffes à manger à vélo.

Chaque heure de la journée où il fait beau et qu’on est coincé au boulot, on est frustré parce qu’on se dit qu’on pourrait être en train de faire du vélo.

Quand la première chose qu’on se demande à propos d’un nouveau boulot c’est comment si rendre, par rapport aux pistes cyclables, la distance à vélo, et s’il y aura du stationnement sécuritaire pour le vélo, si on pourra le rentrer à l’intérieur, tout ça avant de se demander quelques questions que ce soit à propos ... de la job elle-même. Là, ça commence à être de l'ordre de la pathologie.

Quand on commence à envisager des boulots moins intéressants, moins payants, parce qu’on trouve que ça ferait des supers trajets matin et soir.

Quand on se met à prendre en grippe un boulot trop près de la maison.

Quand on détourne l’usage du ‘stationnement incitatif’ en le considérant comme un endroit qui permet de faire à vélo des trajets qui seraient autrement trop long. On s’y rend en voiture, le vélo sur le support à vélo, et on part de là pour sa destination.

Quand on choisit - où qu’on change - de magasin, boutique, resto, parce qu’il n’y a pas de bons endroits où verrouiller le vélo. Même chose pour les cinémas. Quand la sécurité du vélo nous dicte le film qu’on ira voir ce soir.

Quand mes collègues de travail sont très inquiets, voir alarmés, lorsqu'ils se rendent compte que je suis venue au travail en auto, même par un jour de pluie et de vents violents.

Quand la première préoccupation après une blessure n’est pas les problèmes de mobilité, ou problèmes d’absentéisme au travail et les pertes de revenus que ça entraîne, mais la frustration de ne pas pouvoir se déplacer en vélo pour un moment.

Quand DEUX jours de suite sans aller au travail à vélo me mène au bord de la crise de nerfs.

Bref, tout ça, ça ne ment pas. Comme on dit : mon cas est réglé. J’assume maintenant pleinement ma condition. Par exemple, ce soir j’ai un choix déchirant à faire. Je suis convoquée en entrevue pour une job. Quelle est ma première réaction ? Oh, il fait si doux en ce 31 octobre, ce serait un parcours superbe à faire en vélo! Dilemne : il pleut, y aller en vélo, je vais arrivée plutôt défraîchie. L'apparence étant au nombre des critères d'emploi partout, quelle que soit la job, je risque de ne pas avoir le boulot à cause de ça. Y aller en voiture ? Qu’est-ce qui va primer : le désir de faire ce trajet à vélo, alors que les beaux jours sont comptés, ou le besoin que j'ai d'obtenir ce boulot ? À suivre.

Et vous, à quel moment, à quel signe vous êtes-vous avoué à vous-même que vous étiez accro du vélo urbain ? Êtes-vous un accroc pleinement assumé ? Ou encore dans le déni de la chose ? Allez, avouez! Après tout, on est entre nous.

En terminant, un page pleine d'ironie sur le sujet, malheureusement en anglais.
(Pour ceux et celles qui ne lisent pas l'anglais, Babelfish fait habituellement un travail potable à traduire les contenus.)

Illustration : Sur un thème qui remonte à la première Grande Dépression (1929), une affiche créé par l'illustrateur Nick Dewar et dont on peut trouver une version gratuite en format pdf sur ce site.

mardi 20 octobre 2009

Toujours prêt!



Toujours prêt! Cela devrait être la devise de tout bon vélo, d'autant plus pour des vélos urbains.
Rien de pire que de "serrer" un vélo au fond d'un garage, d'une remise ou d'un sous-sol. C'est un obstacle à la spontanéité. Il faut alors non seulement y penser, mais s'organiser pour le sortir de son entrave. C'est alors tellement plus simple de sortir ses clés de voiture!

Mais lorsqu'il est question d'aller faire une petite commission rapide dans le coin, c'est franchement plus rafraîchissant de sauter sur sa fidèle monture. Encore faut-il que celle-ci soit à portée de mains et de pieds.

Pour ce faire, il y a un truc très simple : il faut mettre son vélo le plus proche de la sortie de sa maison, à l'intérieure ou à l'extérieure, selon ses disponibilités. Excellent rappel visuel, excellent incitatif aussi.
Le plaisir que procure un déplacement court en vélo vaut la peine de s'organiser pour que cela vous paraisse tellement simple que vous ne puissiez plus vous en passer. Bref, s'organiser pour ne pas avoir à s'organiser...!
Vous remarquerez alors que ces déplacements courts sont bien plus rapides en vélo, même en pédalant tranquillement. Plus besoin de tourner en rond pour trouver un stationnement.
Ces déplacements courts vous feront remonter à la surface des souvenirs d'enfance, alors que vous arpentiez votre quartier avec votre premier vélo.
Cette liberté retrouvée, vous aurez goûter à une sensation qui, du fait de sa courte durée, vous donnera envie de répéter l'expérience encore et encore. Vous vous apercevrez alors que le kilométrage de votre automobile stagne. Et c'est tant mieux!

lundi 19 octobre 2009

Parcours obliques

Je l’appelle la Des Carrières. Par erreur, par ignorance, par paresse. La première fois que je l’ai empruntée c’est que j’étais dans la lune. Je sais, c’est plutôt déconseillé d’être dans la lune quand on pédale en ville. Même très fortement déconseillé. Mais il y a des moments où c'est tellement méditatif, tellement zen de pédaler... Bref, je roulais en direction sud, sur Boyer, et je suis passée tout droit à St-Zotique, où j’aurais dû tourner vers l’est. Voilà que je me retrouve sur la rue Des Carrières. Je n’avais pas non plus vu le petit détour dans le parc Des Carrières, soit juste au nord de Des Carrières, côté est de Boyer, qui m’aurait fait continuer mon chemin sur Christophe-Colomb direction sud, jusqu’au parc Laurier. Me voilà donc sur Des Carrières, le nez face à une clôture du plus pur style Frost, et je vois une bicyclette emprunter un petit couloir qui s’engouffre le long de la voie ferrée en direction est. Je file à sa suite.

Wow. L’impression de rouler au-dessus de la ville – on file sur des viaducs qui enjambent des rues telles que Papineau et Delorimier - et par moments, on se sent transporté, complètement ailleurs, là où les clôtures sont recouvertes de lierres, là où les immenses murs de ciment, le derrière d'usines qui bordent la piste, sont transformés en vastes fresques de graffitis où des gangs rivales se tiennent probablement des conversations que je ne saurais déchiffrer. Un long sentier où il n’y a que quelques joggeurs et cyclistes. Un oasis. On croit rêver.

Me voilà qui descend vers l'est, et aucune idée où j’aboutirai. Après à peine quelques minutes, je me retrouve coin Masson et Iberville, avec l’envie de reprendre la piste en sens inverse et de recommencer. Manque de temps, je passe mon tour ce jour là. Je rejoins la piste cyclable Molson, qui elle m'amène à la Rachel.

Depuis cette découverte fortuite, j'emprunte plusieurs fois par mois cette piste cyclable qui va de Clark, à son extrémité ouest, jusqu'à Masson à son extrémité est, en longeant la voie ferrée du Canadien Pacifique, tout du long de la rue Des Carrières, puis de la rue Dandurand. Chaque fois, je trouve que ça va trop vite, que c'est trop court. J'en reprendrais encore, j'en redemande. Bien entendu, le rapport qu'on a à un lieu est hautement subjectif. Pour d'autres, cette piste est peut-être la plus sinistre de Montréal. Mais pour moi, c'est chaque fois l'impression de sortir de la 'grille' des rues montréalaises.

Pendant des années, on roule en voiture dans une ville qu'on croit bien connaître, sinon toute la ville, à coup sûr certains quartiers. Et puis, la conduite automobile, c'est une pensée à angle droit, une pensée rectiligne. Le plus court chemin ne répond pas aux mêmes impératifs que le vélo, c'est certain, parce que quand on est autopropulsé, la logique est forcément, pour ne pas dire férocement, différente.

En vélo, plus souvent qu'en voiture, on fait des trajets parsemés de diagonales. Et dans cette logique de diagonales, la piste Des Carrières est une belle oblique dans le quadrillé des rues du Plateau et de Rosemont, oblique à laquelle s'ajoutent toutes les autres diagonales improvisées, celles qu'on fait quand on coupe par un parc, un stationnement, une ruelle.

Quand on se déplace exclusivement en transports en commun, et que l'on accède à la ville par les sorties de métro, on a une sorte de connaissance de la ville qui est fragmentaire, comme si on vivait dans une vaste termitière. On connaît les quartiers autour de ces points nodales, mais on ne fait pas nécessairement tous les liens entre tous ces endroits. Un peu ce qu'illustre si bien les chroniques Métro roulette.

Pour l'automobiliste, c'est presque le contraire, on connaît tous les trajets, et ce qui se trouve sur ces trajectoires, mais des grands pans de la ville nous sont inconnus. Comme un grand gruyère plein de trous. Dans tous les cas, notre image mentale de la ville est toujours tributaire de notre mode de préhension. Et chacun de ces modes a son propre réseau de trajets, et sa propre échelle.

Arpenter la ville en vélo, pour moi, c'est de relier tout ça. C'est de redessiner toutes ces images mentales que j'avais de la ville, remplir les trous, redessiner les trajets, réécrire la ville. C'est de sentir physiquement les distances, de comprendre les rapports entre les différents quartiers, leurs voisinages ou leurs cloisonnements, selon le cas. C'est une connaissance, comment dire, plus organique de la ville. Et à la préhension physique, géographique, se superpose l'épaisseur du temps, l'histoire. Cette rue Des Carrières par exemple, de par son simple nom nous rappelle l'époque où ce secteur de la ville exploitait des carrières. Une époque où la rue Des Carrières était 'en dehors' de la ville. Et la présence imposante de l'incinérateur de la Ville de Montréal, lui aussi témoin d'une autre époque.

Au sujet de l'art de se perdre : A field guide to getting lost par Rebecca Solnit. (Elle a aussi écrit en français L'art de marcher.) Tout à la fois essai autobiographique, essai philosophique, et histoire de l'art et de la culture. Un traité sur l'art de découvrir ce qu'il y a de l'autre côté du familier et du connu.

Sur la stratégie de la diagonale ou de l'oblique : les indispensables Stratégies obliques de Brian Eno et Peter Schimdt. Pour tout ceux et celles qui ont à être créatifs dans leur travail ou dans leur vie, et quelque soit la nature du travail, ou du problème à régler : un simple jeu de cartes qui existe en version Widget pour Mac, ou en format liste sur internet, en français et en anglais, et dans quatre éditions différentes. Ces stratégies obliques, sont autant de phrases, idées, consignes, des pistes de solutions, des portes de sortie pour toutes nos impasses mentales, nos cul-de-sac créatifs, nos résolutions de problèmes qui tournent en queue de poisson. Et à chacun d'ajouter ses propres cartes au jeu.

Crédit photographique : Incinérateur du nord, à l'arrière des écuries, au 1500 rue des Carrières, 1930. VM94,Z90-3. Source : Archives de la Ville de Montréal sur Flickr.

mercredi 7 octobre 2009

Voyage en Amérique avec casque à vélo (suite)

J'ai oublié de dire que pendant ce voyage, l'un de mes réels bonheurs fut l'auto-cueillette ... à vélo. Je m'explique.

Les mûres, ce sont mes fruits préférés. Je les attends tout l'été. Là où je sais que je vais pouvoir aller en cueillir, j'y vais régulièrement et je les épie. Y en aura-t-il beaucoup ? suffisamment pour les oiseaux et les humains, de ces mûres exquises et tant attendues ? Jour après jour j'espère. L'été sera-t-il trop frais ? Trop chaud. Certains étés, la saison chaude n'est pas assez longue sous nos latitudes pour que les fruits mûrissent avant les premières gelées, et parfois, tout est perdu sans que nous ayons gouté une seule baie. Mais quand la saison est parfaite, jours chauds, nuit fraîches, les petits fruits sont mûrs, gorgés, et la récolte est bonne. On a alors que quelques jours pour les cueillir, rarement plus d'une semaine. Et au prix de se déchirer les doigts sur ces buissons épineux, on cueille tout ce qu'on peut, et on revient les mains et le t-shirt tachés : enfin, c'est la fête ! Natures ou en muffins, en confitures ou avec de la crème glacée.


Mais cette année, oh horreur, je savais que je manquerais ma cueillette de mûres, que je ne serais pas revenue de voyage, et qu'à mon retour, il serait trop tard... Mais c'était sans compter sur mon ignorance de la flore de la côte ouest américaine ... Pendant les semaines passées en Oregon, j'ai découvert avec stupéfaction que mon fruit préféré y pousse comme de la mauvaise herbe sur le bord des routes PARTOUT!!!!

Alors, chaque matin, je partais en vélo, avec un gros contenant de plastique bien attaché sur le support arrière, et j'ai fait des récoltes rien de moins que spectaculaires! J'ai ainsi cueillie des mûres en pleine ville, sur le bord des fossés, derrière des stationnements d'hôtels, près de parcs municipaux, sur le bord des routes, etc. Chaque ballade en vélo devenait une occasion de localiser de nouveaux endroits de cueillette où je revenais le lendemain.


Voilà que je me prends maintenant à rêver d'un gros cargo bike avec lequel je pourrais aller aux fraises en juin, aux courgettes en juillet, aux pommes en septembre, alouette! Bon, on se calme le pompon. Pour l'heure je vais me contenter d'aller au marché public avec ma paire de sacoches à vélo.

Tarte au mûres On the road

Une croûte à tarte de type 'biscuits Graham', achetée toute faite et qui ne nécessite aucune cuisson. On y étend, une fois bien mélangé et rendu homogène: un gros paquet de fromage en crème, la moitié d'une conserve de lait condensé (Eaglebrand), tout le jus d'un citron frais. Et l'on recouvre le tout de petits fruits. À partager.

mardi 6 octobre 2009

Ne hurlez plus après vos freins qui hurlent

Quoi de plus désagréable que d'avoir des freins qui hurlent? Quoique dans certaines situations d'urgence, cela peut remplacer parfaitement un bon klaxon! Mais bon, on n'aime pas ça!

Alors il y a quelque chose de très simple à faire :
- Déserrez légèrement, le boulon du patin de frein à l'aide d'une clé hexagonale (Allen key), suffisamment pour que le patin puisse un peu bouger.
- Placez une carte d'affaire pliée en deux à l'arrière du patin (vers l'arrière du vélo), entre le patin et la jante.
- Appliquez les freins par la manette. Assurez-vous que le patin soit bien aligné avec la surface de freinage sur la jante. Il ne faudrait pas que le patin frotte sur le pneu!
- Puis, tout en tenant la manette de frein, resserrez fermement le boulon du patin de frein.
- Répétez l'opération sur les autres patins de freins.

Et c'est tout! Ainsi vous avez créé ce qui s'appelle, en bon Shakespearien, un "Toe-in". Ce faisant, l'avant du patin touchera la jante en premier, et donc "patinera" mieux, évitant de tomber en fréquence vibratoire.

samedi 3 octobre 2009

Le vélo et l'art de la tartine. Ou éloge de la fuite.

Bon, c'est connu, une partie du grand sourire niais que j'arbore en moulinant est causé par cette merveilleuse hormone qu'est l'endorphine. Mais l'endorphine n'est pas la seule coupable de ce bonheur si accessible qu'est le vélo au quotidien. Quand j'en ai pour la peine, disons une petite heure de trajet avant d'arriver au boulot, j'oublie tout : les soucis, les tracas, les ennuis, gros et petits, passés ou à venir. J'oublie la mouture de café bouillante, renversée dans le tiroir à ustensiles juste avant de partir. L'horaire impossible de ma journée à venir, que même un spécialiste de logistique au Pentagone ne pourrait résoudre : oubliée! Le gros dossier sur lequel je procrastine depuis des semaines et qui m'attend à l'arrivée : oublié ! Et je suis là, béate, sur mon vélo, qu'il pleuve ou qu'il fasse soleil, à fuir si délicieusement, dans cette bulle, dans le pur bonheur d'échapper à tout pour quelques précieuses minutes. Si c'est un de ces jours d'état de grâce, invariablement, à l'arrivée je pense à ... Gorodish. Serge Gorodish, le personnage du romancier Delacorta, porté à l'écran par Jean-Jacques Beineix, dans le film culte de 1981: Diva. Personnifié par Richard Bohringer, superbe, une vingtaine d'années en moins, flottant dans son loft tout bleu, avec machine à vagues et musique planante, et qui fait la leçon au personnage principal, Jules, lui expliquant ce qu'est l'art de la tartine, son zen, son satori à lui. Scène célèbre où il explique que pour lui, à ce moment-la : "il n'y a plus rien, plus de pain, plus de beurre, plus de couteau, il n'y a qu'un geste..." Certains jours, on pédale et on atteint cet état de grâce, il y a ce moment où il n'y a plus rien : plus de circulation, plus de pluie, plus de vent, plus de vélo, plus de mécanique, plus de piste cyclable, il n'y a plus qu'un geste, sans cesse répété, un mouvement, fluide, continu, et l'on est soi-même emporté dans ce mouvement, dans cette exaltation.

J'ai bien dit certains jours. Parce qu'il y a aussi les jours où rien ne va. Où l'on dirait que c'est un combat entre soi, son esprit, son corps et le vélo, pas synchrones, pas fluides, pas transcendants du tout. Et là je pense à ce qui m'attend au boulot. Et au gâchis du tiroir à ustensiles plein de mouture de café qui attend mon retour à la maison.

Je sais que cet hiver, je retrouverai cette fuite délicieuse en faisant des longueurs de piscine. Mais c'est pas pareil. Il n'y a pas cette sensation de liberté que procure le vélo. Et le grand air, c'est quand même mieux que les odeurs de chlore ...