Je suis une cycliste ordinaire. Rien d'héroïque. Je fais les courses à vélo. Et c'est aussi à vélo que je me rends presque chaque jour à mes divers boulots dans le grand Montréal. L'adoption de ce nouveau mode de transport depuis avril dernier m'a d'abord fait redécouvrir les quartiers de ma ville, faisant de moi une touriste dans mon propre milieu.
C'est probablement pourquoi, bien que ce n’est pas le premier long voyage que je fais en sol nord-américain, c’est le premier où il me semblait tout naturel d’apporter mon vélo. Je ne pouvais pas m'imaginer être des semaines, des mois, sans vélo! Et l'idée de me déplacer constamment en voiture dans des villes et des villages à découvrir me répugnait tout à coup. Donc, pour ce voyage ci, c’est AVEC bicyclette à bord, et grâce à elle, que j’ai pu visiter des lieux fabuleux.
Je pense à une piste cyclable le long du fleuve Columbia, en Oregon. J’y ai observer un aigle adulte qui pêchait sous mes yeux, et retournait nourrir les aiglons dans un de ces nids juchés sur des plates-formes, bâties dans le cadre de programme de réintroduction de cette espèce.
C’est aussi sur cette piste cyclable que j’ai pu voir de visu, à mes pieds, toute la flore particulière des ‘high deserts’ (déserts en altitude) que je n'avais entre aperçue jusque-là qu'au loin, sur les flancs des montagnes, dans les ravins d'autoroutes. J'ai pu m'enivrer des odeurs particulières de cette flore si différente en pédalant dans la chaleur de la fin de l'après-midi par une chaude journée d'été.
Je pense à des petits centre-ville et quartiers historiques où c'eût été l’enfer de circuler en voiture. Par exemple, Rapid City dans le Dakota du Sud. Une ville qui, même avec la multiplication des commerces de type big boxes tout le long de son Interstate, a su conservé un centre-ville vivant et dynamique, bien garni de boutiques, galeries, restos, et divers lieux d'intérêts historiques.
Je pense à de plus grosses villes, j’ai nommé la mecque de l’intégration vélo-transports en commun : Portland, Oregon. Quel bonheur ! Presque l'impression d'avoir sous les yeux une utopie pour piétons et cyclistes.
Je pense à Ogden, en Utah, où j’ai pédalé tout mon sou dans des vergers de citronniers, d'abricotiers, de cerisiers, dans une vallée située entre un vaste plan d’eau à l'extrémité nord du Grand lac salé et les Wasatch, montagnes chauves à l’allures de paysage lunaire.
Et nombre de petits bleds qui, s’ils paraissaient sans grand charme à l’arrivée, haltes où nous séjournions dans des campings génériques, interchangeables, se sont révélés être des lieux merveilleux, transformés grâce à une simple ballade à vélo, randonnée qui non seulement changeait mon rayon d’action et de découverte, mais me permettait de découvrir les choses dans un rapport de proximité, et où, tout à coup, tout était au rendez-vous, les choses, les gens, l’esprit du lieu. La magie des lieux opérait complètement.
Quelqu’un a dit : il n’y a qu’en auto que le monde est plat. En effet, piétons et cyclistes savent que le monde n’est ni plat, ni platte. J’ai savouré ces journées rendues délicieuses par l’absence du stress lié à la sempiternelle quête du stationnement dans une ville qu’on ne connaît pas. Et chaque jour, oh combien j'ai goûté ce que le vélo provoque invariablement : ce ralentissement salubre, pour ne pas dire nécessaire, du rythme de la vie.
Même dans des tout petits bureaux d’information touristiques, kiosques saisonniers établis au sein de petits commerces locaux, j’ai été surprise de constater que lorsque je demandais la carte des pistes cyclables, l’on me remettait presque toujours quelque chose. De la carte couleur, format géant, papier glacé, jusqu’à la simple photocopie n&b, 8 1/2 x 11, en passant par un travail laborieux du préposé, traçant au surligneur directement sur un exemplaire de la carte routière officielle, le réseau embryonnaire des pistes de sa localité. Chaque fois, les gens, avait un tel enthousiasme à nous informer, nous diriger, presque du zèle! Comme si nous étions, enfin arrivés, nous, des touristes d’un genre nouveau qu’ils attendaient sans y croire.
Visiblement, la tendance - du touriste qui débarque avec son vélo - est en train de changer les pratiques touristiques, jusque dans les confins de l’Amérique profonde.
Peut-être ferons nous mentir le dicton Vietato introdurre cicilette* - dénonciation mi-drôle mi-amère dans un fragment du même titre par l'écrivain Argentin Julio Cortazar dans son recueil Cronopes et Fameux.
Je ne peux m'empêcher de penser à des voyages précédents, entre autres ceux effectués en Georgie, en Alabama, dans le Sud profond, et à comment ces voyages auraient été si différents si j’avais eu ... deux roues plutôt que quatre. Il y a tant de choses à voir et à faire, et malheureusement trop peu de temps et d’argent! Mais à coup sûr, il n'est jamais trop tard pour changer sa façon de voyager et de voir le monde.
*bicyclette interdite
Photographie : À Hardin au Montana, le propriétaire d'un petit camping a décidé de ceinturer son terrain de vieilles bicyclettes. Il a commencé par deux bicyclettes 'vintage', qui lui avaient appartenues en propre. Puis les habitants du village ont trouvé l'idée sympatique, et il lui ont apporté d'autres bicyclettes. Au fil des ans, la clotûre improvisée s'est étendue jusqu'à maintenant faire presque tout le tour de son camping.
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