Co-auteure pour le blogue Urbanista, Suzanne Lafontaine est une véritable "navetteuse". Travailleuse autonome, elle fait de son vélo le principal moyen de transport et sa recherche de sérénité passe par sa façon d'appréhender la ville en vélo.
Q : Qui es-tu?
R : Je te corrige concernant mon navettage. Je n'utilise le vélo que la moitié de l'année. Pendant ces mois-là, il est extrêmement rare que j'utilise la voiture ou les transports en commun. L'autre moitié de l'année, des problèmes d'asthme m'empêchent de rouler dans le froid. Pour ma plus grande frustration d'ailleurs! Pour le reste, je suis une cycliste bien bien ordinaire, comme peuvent le constater ceux qui auront lu mes quelques billets sur Urbanista. Comme je le disais dans "Vélo anyone?", je fais partie de la masse de cyclistes anonymes, sans visage, sans histoire, qui roule de par la ville et qui compose la masse critique des cyclistes urbains. Je ne suis pas une vraie fille de la ville, et je dois dire que ce sont mes déplacements à bicyclette qui m'ont fait me réconcilier avec Montréal. Ça a radicalement changé mon rapport à la vie urbaine. Je vois cette ville-ci d'un tout autre oeil maintenant. J'ai (re)découvert des quartiers où il y a une certaine qualité de vie, et des petits centres-villes, des commerces de proximité, qui eux aussi contribuent à une certaine qualité de vie, une sociabilité nouvelle.
Q : Quels sont tes intérêts culturels?
R : Ils sont tout azimuts. Des études en littérature et en arts m'ont ouvert l'appétit pour pas mal de choses. Mais pour moi, la "culture", c'est tellement plus vaste que ça. Je me rabattrais davantage sur une définition plus large de la culture : l'ensemble des manifestations de l'humain. Ça va de ce qu'on appelle maintenant le "vivre ensemble", aux façons de voyager; à l'architecture, aux arts textiles, à la musique, en passant par... littéralement, tout et rien. J'aime être déstabilisée par une proposition culturelle (quel que soit le médium); qu'elle m'habite pour un temps, qu'elle me force à repenser les choses, ou qu'elle m'émeuve intelligemment. À Montréal, il y a vraiment à boire et à manger en fait de culture. Et la ville elle-même est culture. Et cultures plurielles. Et histoire. Et architecture. Et paysages. Et plus encore.
Q : Comment perçois-tu le vélo urbain? (ici et ailleurs dans le monde)
R : J'ai visité des villes nord-américaines où le vélo est véritablement un mode de vie intégré aux infrastructures des villes. Par exemple, un plan de transport comme celui de Portland en Oregon, qui englobe une région aussi grande que le triangle Sherbrooke-Ottawa-Québec avec Montréal au centre. J'y ai vu des petites familles partir le matin, à vélo, dans petite ville située à plus de 100 km de Portland, embarquer toute la petite famille dans le train, vélos compris, et débarquer au centre-ville de Portland. On remet le bébé dans le siège de bébé, et on s'en va à la garderie, puis au boulot. Et le soir, même chose. Sans heurts, sans anicroches, sans stress, et à des tarifs abordables. Un système seamless. Il a fallu presque 30 ans à Portland pour en arriver là. C'est certain qu'en regard de ça, Montréal fait piètre figure. Tout est encore pas mal compliqué. Essaie donc d'aller prendre le train de banlieue avec ton vélo ? Ou le métro à l'heure de pointe? Ou l'autobus? Aie! On vit une période charnière où le nombre de cyclistes augmente plus vite que les mentalités et les pratiques ne changent, alors il y a clash de cultures, entre la suprématie de la voiture individuelle, et les autres modes de transport. Présentement, notre sécurité à tous en souffre. Mais, les gens d'ici sont capables de choses étonnantes. Et puis, peut-être que nos élus, qui agissent toujours en électoralistes plutôt qu'en visionnaires, vont réagir, ils iront là où le vent souffle, et peut-être verrons-nous des changements pour le mieux. Je l'espère. Je le souhaite. Ce qui est certain, c'est que c'est impératif qu'il se fasse du gros rattrapage.
Si je reviens à ta question... vélo urbain. Pour moi, ce n'est pas exclusif aux grands centres. Toutes les agglomérations sont propices au vélo, particulièrement les villes plus petites, encore moins bien desservies par les transports publics. Le vélo urbain, ce n'est plus une simple affaire de loisirs, ou un effet de mode. C'est, pour plusieurs, un choix de mode de vie, qui intervient dans toutes les sphères de l'activité humaine - sports, loisirs, rapports sociaux, emplettes, travail, etc. Le spectre du "peak oil", les considérations environnementales, font que le vélo, ici comme ailleurs, est là pour rester. Il faut aussi dire que si on en parle beaucoup maintenant, pour bien du monde, il n'y a rien de neuf là-dedans. Pour certains Montréalais par exemple, la pratique du vélo urbain date de plusieurs décennies déjà.
Q : Comment vis-tu ton cyclisme urbain?
R : Cette question-là me fait bien rire. J'entends la chanson "Comment je vis ma vinaigrette" de Marc Drouin! Je vis ça très bien et très mal. Très bien parce que c'est du p-u-r bonheur que de rouler. Et tous les prétextes sont bons pour sortir rouler. Quotidiennement. Et plusieurs fois par jour. Et puis je vis ça très mal parce qu'il se passe rarement une journée où l'on est pas témoin de comportements dangereux, tant chez les automobilistes que chez les cyclistes. Il faut faire fi de ce climat-là pour persévérer. Certain jour, c'est un peu un tour de force...
Q : Penses-tu que Montréal peut devenir une ville cycliste?
R : C'est économiquement et logistiquement faisable, pas de doute là-dessus. Du point de vue de l'urbanisme aussi, c'est faisable. C'est une question de choix. Les embûches, pour ça comme pour bien d'autres choses, sont politiques et culturelles. Comme je le disais aussi dans "Vélo anyone?", c'est la question du nombre qui fera la différence. C'est toujours toujours la question du nombre.
Q : Que représente le mouvement "Slow bike" pour toi?
R : De façon générale, je dirais que c'est une pratique de la bicyclette parmi plusieurs autres. Toutes ces pratiques ne s'excluent pas les unes les autres. Elles coexistent. Elles doivent coexister. Peut-être occuperont-elles des espaces différents dans la ville et dans les régions, mais ce qui est certain, c'est qu'elles sont toutes légitimes. On ne peut pas prêcher la tolérance (vélo vs auto), puis, d'un autre côté, prôner une seule pratique du vélo comme étant la seule vraie pratique valable. De plus, il serait inopportun de se diviser entre nous, à un moment où il est crucial de constituer une masse critique de citoyens ayant des revendications articulées et claires.
Dans mon cas particulier, je dirais que le Slow Bike, c'est une de mes pratiques du vélo. Certains jours, quand je file au boulot, je peux pas dire que c'est du Slow Bike. Pas que je roule en fou/en folle, mais, disons que je ne suis pas toujours à savourer le trajet. Quand je reviens le soir, bien là, c'est déjà plus dans cet esprit-là. Je fais des détours, je change de parcours, je m'attarde. Et là, je vois, je prends le temps de voir, de regarder. Bref, je prends le temps de... vivre. D'autres jours encore, quand je pars rouler sans but précis, avec juste mon vélo et ma curiosité et mon désir de goûter à la journée, là, je suis beaucoup plus dans cet esprit du Slow Bike. C'est tout simplement étonnant tout ce qu'on peut voir en ne sortant même pas de l'île de Montréal. On pense, parce qu'on vit ici depuis toujours ou presque, qu'on a tout vu... On a des surprises délicieuses quand on commence à explorer la ville à vélo. Et c'est sans compter tout ce qu'il y a dans le grand Montréal, et au-delà. Et c'est une activité si incroyablement abordable. J'ai juste un regret, c'est de ne pas m'être remis à la bicyclette avant. Que de temps perdu!
Crédits photo : Dans l'esprit d'Urbanista, j'ai choisi de présenter un de mes intérêts culturels afin d'illustrer cette note. Voici donc deux images qui proviennent du site Polanoid, un site où des amateurs de pellicule Polaroid sont à constituer ce qui sera probablement la plus grande collection en ligne d'images analogiques produites sur pellicules Polaroid. Je m'intéresse à ces procédés depuis la fin des années '80, en particulier le travail photographique sur pellicule 'expirée', c'est-à-dire dont la date de péremption est dépassée, ce qui donne des résultats imprévisibles et étonnants. J'invite les amateurs de photographie qui ne connaîtraient pas le site à l'explorer. C'est une véritable mine d'or. Les deux images que j'ai choisies représentent des vélos ou pièces de vélos. La première s'intitule Bios + Technos 1.1 et elle est de Arne van der Meer, un photographe de Düsseldorf. C'est du Studio 125 expiré. La seconde s'intitule Bike manipulated, et elle est de Matthias Kodym, un jeune photographe Autrichien. C'est du SX-70. Les deux images sont reproduites ici sous CC Creative Commons.
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