Quelques semaines avant de m'envoler vers Tucson, une ville d'environ 450,000 habitants dans le sud-est de l'Arizona, j'ai recu par la poste la carte des pistes cyclables. J'ai d'abord cru qu'il y avait eu une erreur lorsque j'ai deplié la carte : le réseau est si étendu, si riche, que j'ai cru que j'avais sous les yeux la carte routière de la ville et non la carte du réseau cyclable. En effet, lorsqu'on superpose les deux cartes, c'est pour le moins impressionnant. Du moins du point de vue d'une Montréalaise puisque notre réseau à nous, on le mémorise en 3 minutes. Rarement besoin de la carte pour s'y retrouver... Je salivais donc avant même de mettre les pieds à Tucson, une ville qui aspire à être un modèle en fait de réseau cyclable.
Il y a deux semaines, je débarque donc à Tucson remplie d'attentes. J'imagine ce flot de vélos de part toute la ville. Il faut dire qu'au pire de l'hiver (décembre à février), pendant la journée, il y fait 45-50F (7-10C), pas de neige, peu de jours pluvieux, une ville avec très peu de denivelation, et un quadrillé de rues où il est à peu près impossible de se perdre.
Avec son architecture de maisons en adobe, couleur sable, ochre, rose et orangé, la ville est magnifique et un brin surréaliste avec palmiers et cactus géants (le fameux saguaro), sur un arrière plan de montagnes aux caps enneigés. Mais à ma plus grande surprise, je ne voyais pratiquement personne sur les pistes cyclables...
Après m'être informé à droite et à gauche, forums de pro-vélos, proprietaires de 'bike shops', j'apprends que les gens empruntent peu les pistes cyclables créées sur les artères achalandées, qu'ils empruntent la plupart du temps d'autres rues, plus tranquilles, et plus agréables, qu'il y ait là une piste cyclable ou non.
Moi, je cherchais LES cyclistes, le cortège de vélos en enfilade, vision toute montréalaise. Mais ce que j'avais sous les yeux, c'était des cyclistes, par çi par là. Clairsemés. Ce que nous voyons si souvent chez nous aux heures d'affluence - des pistes cyclables congestionnées (Rachel, Boyer, Maisonneuve ouest, etc.) est plutôt rare à Tucson. Leur réseau est si important qu'il n'y a jamais de telle affluence visible, pas de concentration de vélos, pas de bouchons! La circulation se trouve comme diluée dans le vaste réseau de pistes et bandes cyclables, et les cyclistes se retrouvent aussi hors réseau, parce qu'il faut bien dire que dans l'ouest américain, les rues, qu'elles soient principales ou secondaires, sont habituellement très larges.
J'apprends aussi, qu'effectivement, ce 50F (10C) - tropical pour une touriste fraîchement débarquée de son hiver québécois - c'est un peu 'froid' pour les habitants de Tucson. Comme quoi le froid est ... une chose toute relative.
Le problème de certaines de ces pistes sur les artères commerciales achalandées c'est que pour éviter l'écrapoutissement des cyclistes dans une ville où le virage à droite est autorisé au feu rouge, la dite voie cyclable se retrouve entre deux voies de vehicules en mouvement : entre la voie de droite - ou bus et voitures circulent à grande allure, et la voie du centre, où les voitures roulent encore plus vite. Rien qui ne protège le cycliste sinon de la peinture blanche sur le pavé... Une solution que j'ai eu peine à comprendre, et qui, après en avoir fait l'experience au péril de ma vie (!) me donnait à moi aussi envie d'éviter ces rues.
Les initiatives citoyennes entourant le vélo sont très nombreuses, et les Tucsonniens sont actifs, dynamiques et des plus créatifs dans la défense de leurs droits à cet égard. Une note de blog ne saurait rendre compte de tout ce qui se passe dans cette ville côté vélo.* Mais quelques éléments ont particulièrement attiré mon attention, et illustrent bien ces luttes pour l'usage du vélo en ville. Par exemple, un règlement municipal qui oblige toutes nouvelles constructions (édifices publiques, magasins, cliniques, etc.) à prévoir des supports à vélos. C'est pas réjouissant ça ?
Un désir manifeste des autorités municipales à créer un réseau cyclable qui va relier la ville avec les sites récréatifs qui se trouvent au pourtour de la ville, à sa périphérie, sites qui se trouvaient plus ou moins inacessibles pour toutes sortes de raisons (distance, obstacles, échangeurs d'autoroutes, etc.).
Un de ces efforts d'étendre le réseau à cette périphérie permet à un amateur de vélo qui roule en plein ville de se rendre jusqu'au Parc national Saguaro (secteur de l'est) et d'y faire du vélo dans une forêt de cactus géants. Nul besoin d'automobile. On peut se rendre du coeur de la ville jusqu'au parc, et les vélos sont autorisés dans ce parc, et sur ce sentier en particulier. C'est une expérience inoubliable.
Il va sans dire que la différence de latitude et de climat, ainsi que des tracés de ville forts différents (la largeur des rues notamment) font en sorte que Montréal et Tucson ont à l'évidence des défis très différents en termes d'aménagement de pistes cyclables. Il y a, sans conteste, dans cette ville là des initiatives intéressantes, et des plannificateurs visionnaires.
Quant aux cyclistes eux-mêmes, si à Montréal on est rempli d'admiration pour les cyclistes qui bravent le froid en hiver, à Tucson, c'est en été qu'ils sont admirables, puisqu'au plus chaud de l'été le mercure peut grimper jusqu'à 40C (110F).
La chose la plus réjouissante que j'ai vu en termes de présence des cyclistes dans la ville : quand il y a des évenements sociaux, culturels, on retrouve presque toujours ce que je j'appelerais un 'contingent de vélos'. Par exemple, pendant mon bref sejour, il y avait un sorte de carnaval/rodéo annuel, un très gros évenement médiatisé, avec parade à travers la ville, festivités, etc. Et les cyclistes ont participé ...à vélos, avec force costumes et tout le kit !
Ca fait refléchir. Si à chaque fois qu'il y avait un évenement public à Montréal, des cyclistes fermaient la marche, ca serait une occasion de visibilité en or...
Mes déambulations à vélo dans Tucson m'ont permis de découvrir une autre initiative municipale que je n'avais pu apercevoir en voiture. Nous avons au Québec la loi du 1%. Quand un édifice est construit avec des deniers publics, ou avec des subventions, 1% doit être versé pour une oeuvre d'art ou une installation incorporée à cet immeuble. (Qu'on me corrige si j'erre dans les détails de la loi.) À Tucson, une loi similaire semble s'étendre à certains ouvrages de travaux publics ! En traversant le pont Irvington, au dessus de la rivière Santa Cruz, cette fois-çi à vélo, j'ai pu voir les deux immenses 'gila monsters'** sculptures de ciment recouvertes de mosaïques multicolores. Les deux bêtes se font face, au beau milieu du pont, entre les travées des voitures. Ce n'est donc pas un pont bi-modal (vélo et autos) mais bien tri-modal : autos, vélos et lézards géants !
*Le Tucson metropolitain compte environ 1.5 million d'habitants. On y trouve par exemple des programmes gratuits d'initiation à l'usage du vélo en ville, des programmes pour les employés municipaux, où des vélos sont mis à leur disposition pour leurs déplacements, et plus! Voir le site du Departement des transports de la ville de Tucson. Voir également le site de l'organisme BICAS (Bicyle Inter-Community Action & Salvage), une organisation citoyenne très active sur la scène locale dont l'une des activités de levée de fonds est un encan annuel d'oeuvres d'art créées à partir de pièces de vélos recyclées.
**Le gila monster ou 'monstre de Gila' est une des deux espèces de lézards venimeux qui vivent dans les déserts du sud-ouest des États-Unis.
Photos : Signalisation routière. / Maison en 'fauxdobe' - photo de Anya Quinn Drombowski. / Enseigne extérieure de BICAS / L'un des deux gila monsters du pont Irvington.
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