Traverser la Sibérie en vélo, ça vous dirait ? C’est ce que Mark Jenkins a entrepris en 1989, flanqué de collègues Américains et Russes, et dont il a fait le récit dans Off the map, bien avant de devenir columnist au magazine Outside.
Sorte d’équipée folle de 7500 km en 5 mois, totalement fellinienne à la ligne de départ, avec tout un cirque de journalistes et tout un entourage de ‘sécurité’, l’équipe retrouvera bien vite un peu d’intimité là où la route s'arrête et qu'ils se perdent littéralement dans le décor de cet arrière-pays. Ils sèmeront ce cortège encombrant pour faire face à leur défi. Défi pluriel en fait. Défi d’endurance certes, mais et surtout, de nombreux défis d’ordre culturel. D'abord à l’intérieur même de l’équipe, composée de Nord-américains et d’Européens de l’est. Choc des époques puisque les voilà, urbains du 20e siècle, à se balader dans une campagne qui a parfois des allures de 19e siècle. Choc des cultures politiques. Choc de la confrontation des idées préconçues, des préjugés, avec l'envers du décor, qui va toujours au-delà des lieux communs.
Pour ceux qui s’intéressent au cyclotourisme d’aventure, rouler dans des contrées peu ou pas fréquentées, si le livre apporte peu d’informations techniques sur le comment de la chose, il est plus généreux sur les difficultés logistiques de cette entreprise et sur les aspects psychologiques d'une telle aventure.
Je pense que l’intérêt de ce récit est ailleurs. Une fois mis de côté ce qui est convenu et attendu dans un tel livre – le regard d’un Américain sur la culture russe/soviétique de 1989 - il y a plus. Une fois dépassée la carte postale, splendide il va sans dire, les humains sont le véritable paysage de ce récit. Ceux qui moulinent, et ceux qui les accueillent. Quand les descriptions ne sont plus à gros traits, mais dans les nuances, dans les subtilités, c’est là que ça devient intéressant.
Si Jenkins n'a pas grand talent littéraire dans ce récit de jeunesse, il pallie habilement à cela par la fraîcheur de son récit et par la sincérité presque bon enfant du ton adopté.
Ce qui m’a plu c’est qu'encore une fois le vélo est un vecteur de découverte fascinant. Je serais presque tenté de dire un interface, tellement plus propice pour aller à la rencontre de l’Autre. Quand on défile en voiture, en train, on ne s’arrête pas. Il y a toujours une distance entre soi et l’objet qu’on découvre. Quand on est en vélo, et qu’il faut mettre pied à terre pour ne serait-ce que trouver gîte et couvert, c’est autre chose. Ce livre me confirme ce que j’ai été à même d’expérimenter en faisant beaucoup plus simplement la découverte de villes visitées à vélo : on se retrouve dans un rapport de vis-à-vis qui rend l’expérience et la rencontre plus faciles et plus riches.
Une fois le livre refermé, je me suis demandé si les choses avaient beaucoup changées depuis 1989, si ce qu’on y lit est encore assez juste en 2010. Et par une coïncidence extraordinaire, j’ai eu à lire en ligne le blogue/journal de voyage de deux Québécois qui, cet hiver, revenaient d’Europe par le même trajet, mais cette fois-ci d’ouest en est, de l’Europe vers la Chine. Pas en vélo certes, mais en visitant sensiblement les mêmes bourgs et villes. Et de me rendre compte que l’histoire tient la route. Deux décennies n’ont apparemment pas changé grand chose dans cette région du monde qui, pour vivre et survivre aux aléas de l’histoire, à dû résister à tant de changements géopolitiques, non pas au fil des décennies, mais au fil des siècles.
PS Pour me faire pardonner de vous avoir parler de deux titres disponibles seulement en anglais, les prochaines lectures sont des titres français.
Mark Jenkins. Off the map : bicyling accross Siberia. Rodale books. 1992. Édition originale encore disponible. Ou en réédition, format de poche chez Harper Collins Canada. 1993.
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