samedi 12 décembre 2009

À hauteur de selle

Dans une des scènes clés du très beau film La société des poètes disparus, le professeur – incarné par Robin Williams – fait la leçon à ses étudiants : tout est une question de point de vue et de perspective. Il leur demande de monter sur leur pupitre et de constater comment même la réalité la plus banale – leur classe – est différente envisagée à partir de ce nouveau point de vue. La question du point de vue, de sa singularité, se pose à chaque fois que l'on prend la parole, quelle que soit le medium choisi. Tout est affaire de point de vue, de perspective. Leçon qu'ils auront intégrée, comme l'illustre, mémorable, la scène finale du film.

L’histoire de la peinture est en partie, bien que pas exclusivement, une histoire de la représentation, une éducation du regard, et une interrogation sans cesse renouvellée de la question du point de vue. Pour exemple, deux contemporains. Picasso qui, visionnaire, illustre dans ses toiles cubistes la multiplicité et la simultanéité des points de vue. Pas joli joli, mais oh combien brillant! Je pense à l’artiste Allemand Gerhard Richter, dont le Musée des Beaux-Arts de Montréal possède une oeuvre de très grand format, et où l'on voit un paysage, flou, comme une photographie hors focus, une oeuvre qui brouille du coup les frontières entre peinture et photo. Meadowland est une de ces toiles qui fonctionne un peu comme ça.

Et le vélo dans tout ça !!!??? me direz-vous.

J'y arrive.

Plus près de nous, le canadien Alex Colville, un peintre hyperréaliste, nous donne souvent à voir ce que plusieurs fins observateurs auront appelé le low-car-seat level. En effet, quand on regarde certaines de ses toiles, on a l’impression de voir la scène comme si on était assis en voiture, arrêté en bordure de la route, observant la scène alors qu'on est à cette distance précise du sol.

C’est en fréquentant des photoblogs de cyclistes-photographes que j'ai repensé aux oeuvres de Colville et à son point de vue singulier d'automobiliste Nord-américain qui voit la vie de sa voiture.

Si on entend par point de vue, un discours politique, il ne fait aucun doute qu'il existe un et même des points de vue cyclistes. Mais ici, je ne fais pas référence au discours politique. Plus bêtement, je me demande si on peut identifier un point de vue bike-seat-level , en regard à "hauteur de selle" ?

J'essaie de porter attention au style photo des cyclistes-photographes, je cherche à reconnaître une esthétique qui leurs/nous serait commune. Une sorte de signature visuelle, faites de plusieurs éléments qui pourraient s'y retrouver ou pas. La crystalisation d'un regard qui lit la ville et ses objets à partir de la vie à vélo, une représentation de la ville qui ne serait ni celle de l’automobiliste ou du piéton, une esthétique visuelle propre à la gente autopropulsée. Tant dans la manière que la matière de cette photographie là. Des thèmes, des cadrages, un registre - la proximité, un rapport plus intime aux lieux, une vision en mouvement, etc.

Je dis ça comme ça. Peut-être que c'est du délire. Peut-être que c'est déjà l'effet du manque de vélo. L'hiver va être long...

Sources/crédits (dans leur ordre d'apparition) :
Jeremy Hugues. Condor in the snow. Jeremy Huges's photostream sur Flickr.
Alex Colville.
Cyclist and Crow. 1981. (Tiré du catalogue en ligne du MBA de Montréal).
Pörrö. Vauhissa. 2007. The thrill of Cycling sur Flickr.

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