dimanche 21 novembre 2010

La table est mise

Partout, on claironne le ‘retour des bicyclettes’. Peu importe les raisons invoquées - qu’il s’agit de sauver la couche d’ozone, les scénario noirs du Peak oil, la courbe démographique et les Babyboomers qui veulent retrouver la forme – le vélo comme pratique récréative et/ou comme mode de transport serait parmi nous pour y rester.

À l’oeil nu, on le voit : les pistes cyclables débordent à un tel point qu’il est parfois plus sécuritaire de rouler hors les pistes. Les Bixis se mutliplient, pas juste à notre échelle montréalaise, mais dans plusieurs grandes villes du monde, et leur prolifération est plus rapide que la supposée pandémie de punaises de lit.

Avec une telle résurgence viennent aussi les effets de mode et les ... diktats. Quand on est néophyte, c’est normal, on cherche conseil. Et on se fait dire ce qui doit être. Pour faire du navetage, ça prend un vélo urbain. Pour la route, un vélo de route. Pour le hors-piste, un vélo de montage ou de cyclocross ou que sais-je. Tel type de guidon. Tel type de pédale, cale, clip, alouette! Cuissard de lycra ou pas. Base layer de mérino, rien de moins.

Ouf.

Si ma saison 2010 m’a bien rentré quelque chose dans la tête, c’est bien de faire fi de pas mal de ces diktats. Comme quoi on finit toujours par faire une Antigone de soi, et aller contre la Cité, en faisant à sa tête dès qu’on prend un tant soi peu d’assurance. Je ne rapporte ici que deux anectodes pour illustrer mon propos.

Un vélociste bien connu dans Montréal est à liquider sa marchandise en vue d’un déménagement prochain. Je passe par là après le travail et je vois qu’il y a dans cette vente exactement ce que je cherchais alors que je suis presque sur mon départ pour un petit voyage de cyclotourisme. Un cuissard de la marque et de la taille que je cherche, du type qui se porte dessous un autre vêtement. J’achète. Vente finale bien entendue. Une fois rendue à la maison, je ne peux pas attendre davantage pour l’essayer. Et voilà que je trouve que c’est un bien bizarre de cuissard, dans le genre extra coussiné de tout bords tout côtés, en amont et en aval. Quelque chose que ce cuissard. Je regarde l’emballage et s’ensuit un grand éclat de rire bien sonore : c’est un cuissard de gars! Je suis bien contente que ce soit une vente finale et que je ne peux pas le retourner puisque ce cuissard là fait disparaître toutes les aspérités de la route sous mon popottin, plus efficacement que la meilleure selle, le meilleur cuissard de fille, les meilleurs pneus. Les cahots de la piste défoncée ? Envolés! Il faut être honnête et dire que je ne le rachèterais pas si c'était à refaire, puisqu’il faut bien admettre que le cuissard masculin n’accommode pas trop bien les courbes féminines plus importantes des hanches et des fesses, mais l’incident m’a encore une fois illustré que tous ces diktats sont parfois bien ridicules...

Deuxième anecdote : je reviens d’un belle virée de 600 km sous des latitudes plus clémentes. Et quelle ne fut pas ma stupéfaction de voir à la ligne de départ dix neuf cyclistes non pas sur des vélos de route mais avec toutes sortes d’autres vélos. Des vélos urbains (où l’on roule presque en position assise), des hybrides ‘non-performants’ (comme le vélo que j’avais apporté), un vélo de montagne, et même un vélo-pliant! La majorité des cyclistes de ce groupe ne se trouvaient pas dans une position aérodynamique alors que nous avons pourtant roulé à bonne allure avec de méchants vents de face pendant la moitié du voyage. Et ce ne fut pourtant que pur plaisir. Je voyais aussi que bien d’autres comme moi avait considérablement modifié leur vélo. Changer le siège, changer le guidon parfois, patenté ceci ou cela, sac du support arrière installé tête-bêche, positionnement inusité des portes-bouteilles, et j’en passe. La moitié de ces cyclistes avaient fait d’autres voyages de cyclotourisme pareillement équipés. Tout ça n’était nullement de l’improvisation, mais plutôt le fruit d’un patient travail d’amélioration de leur monture.

Au fond, ça n’aurait pas dû me surprendre tant que ça, puisque qu’en matière de vélo-boulot, on voit la même chose. Chaque jour des gens font du navettage équipés de toutes sortes de manières. On rencontre tous les cas de figures : certains équipés pour le Tour de France, et d’autres avec des bicyclettes si déglinguées que ça tient du miracle si elles se rendent à bon port. Vélos de montagne, vélos hybrides aux configurations les plus éclectiques, vélos urbains, vélos pliants, vélos de route, c’est un méli-mélo joyeux où chacun et chacune roulent avec ce qui lui plait, lui convient, convient à son style, à son budget, et le tout faisant un salubre pied de nez à pas mal de ces diktats.

Dans cette offre croissante de montures, d’équipements, de pistes et circuits, de voyages, de services, chaque pitch publicitaire y va de ses préceptes, de sa rhétorique sur ce que devrait être votre pratique du vélo. À chacun de s’approprier ce qui lui convient. Essayez différents vélos, et gardez à l’esprit qu’un vélo - même avec le plus beau design du monde (et dieu sait qu’ils sont magnifiques les vélos qu’on nous proposent!), même avec la plus géniale ergonomie - peut ne pas être parfait acheté tel quel. Peut importe le soin que le fabricant aura pris pour y arriver. À vous de le modifier pour votre pratique du vélo. Il en va de même pour l’attirail vestimentaire. Oui, peut-être que ce jersey en tissu high-tech respirant est super. Ou c’est peut-être le vieux tee-shirt de votre ex qui est l’idéal pour cette ballade matinale.

Profitons donc de ce retour en force du vélo tout en faisant fi des diktats puisque maintenant la table est mise, et de si belle manière!

Crédit photo : Petit déjeuner cycliste © Suzanne Lafontaine.

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