mardi 6 avril 2010

Étonnements quotidiens

Est-il besoin de le dire : ce vendredi 2 avril fut sublime dans la région de Montréal, pour tous, autos, vélos, piétons, bipèdes, quadrupèdes et gente ailée!

Il m’a semblé que ce temps anormalement chaud, ce soleil prodigieux, demandait, pour bien le savourer, non pas de m’élancer dans une randonnée où j’aurais avalé des km et des km, dans un paysage magnifique, à mouliner comme une forcenée, à tenter d’abolir la matière, la route, le vent, mon corps, mes limites; une expérience que j'adore, toute faite de dépense physique intense. Non, ce jour çi était dicté par un appel des sens différent. Il annoncait plutôt quelque chose qui appelle la lenteur, le flanâge, l’attention aux menus détails de ce foisonnement humain de par les rues, de par les quartiers, de par les abords des commerces. Non pas fuir, mais aller à la rencontre de.

Enfin le beau temps, enfin la vie quotidienne retrouvée au grand air, avec ses sons, ses odeurs, ses couleurs, ses mouvements, et avec elle, un rythme, je dirais presque ... un désoeuvrement, mais un désoeuvrement salubre, essentiel.

Il m’a semblé qu’il me fallait passer par le petit raccourci entre les deux immeubles, là où ça sent le cèdre. Et que plutôt d’expédier les courses, en achetant tout ce qu’il y a sur cette longue liste, en un seul et même endroit, il me fallait plutôt égrener toutes ces emplettes comme un chapelet, comme un chemin de croix (Pâques me fait tomber dans la métaphore religieuse!), comme autant de rencontres . Passer chez le boulanger, chez le fromager, chez l’épicier. Pour m’arrêter chaque fois. Parce qu’à ces arrêts physiques - débarque, verrouille le vélo, enlève le casque, retire la sacoche, etc. – dans ces petits rituels cent fois répétés, sans empressement aucun - correspondent aussi des arrêts d’un autre ordre. Arrêter quelque chose dans le regard, arrêter sa pensée et ses sens aux objets qui se présentent à soi. On devient poreux aux choses qui nous entourent et tout en devient magnifié.

Ce que Georges Pérec appelait si justement l’infra-ordinaire* mérite notre attention. Je vois que ce temps chaud fut si soudain que les gens ne savent plus comment s’habiller. Ca va de l’anorak d’hiver aux sandales et camisole. Pendant un moment, je roule dans le sillage de quelqu'un qui porte un parfum incroyable, puis, fugaces, odeurs de sueur, salées, vites éclipsées par l'odeur de café à l'approche d'une terrasse. Je n’ai jamais vu autant de poussettes de bébé. Ni autant de chiens miniatures. Les voix, les rires, partout si clairs, dans ce jour lumineux. Comme une accoustique particulière avec un rien de fraicheur dans le fond de l'air malgré la chaleur.

Je lève les yeux alors que j'attend au feu rouge et je vois des gens qui déménagent, ils sont à prendre la bière sur le balcon d’en avant, parmi le chaos joyeux de leurs possessions matérielles. Comme ils doivent être ravis de cette météo bénie pour déménager. Je vois partout l’euphorie des gens, sortis du cocon de l’hiver. Je fais des détours pour ne pas rentrer. J’en redemande, de cet étonnement salubre aux détails, au vivant, à la beauté, tapie ici, sous nos yeux.

L’accidentel, l’exotique, l’horrible, c’est pour la une des médias. La vie de tous les jours, banale, quotidienne, ordinaire, c’est le tissu même dont est fait la vie, cette vie là qui nous coule entre les doigts.

[*Gerogres Pérec. Interroger l’habituel. ]

Crédit photo : Daily Bread par Phil Richards. © Philwirk Flickr Photostream.

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